L’art, une arme contre la répression pour les femmes iraniennes

En Iran, les femmes revendiquent leurs droits, de plusieurs manières : en manifestant, ou encore en retirant leur hijab. Certaines utilisent aussi l’art pour revendiquer leurs droits et dénoncer les lois mises en place par le gouvernement. Elles sont aussi parfois soutenu dans leur cause par des hommes. 

En Iran, le combat des femmes passe par la musique. Récemment, deux jeunes productrices et DJ iraniennes, Aida et DJ Nesa Azadikhah, ont réalisé une compilation de musique électronique, réunissant des morceaux uniquement composés par des artistes et DJ iraniennes. Elles l’ont nommé Intended Consequence. À travers ce projet, on découvre l’existence d’une « vie nocturne », à Téhéran. Étant donné que la police des mœurs surveille tous les lieux publics et réprime ceux ne respectant pas les lois imposées par le gouvernement, la jeunesse se retrouve privée de clubs ou autres activités pour se détendre. Elle se cache donc dans la clandestinité pour se réjouir au sein de la capitale iranienne. Dans cette compilation, la musique électronique à la différence d’autres styles musicaux, comme le rap ou le rock, a le pouvoir d’éviter la censure, puisqu’elle est considérée comme moins destructrice. Il est donc plus facile d’organiser des événements autour de cette musique et de faire passer des messages subtilement cachés, afin de garder espoir et « la tête haute ». Certaines des musiciennes utilisent leur notoriété mondiale pour montrer le quotidien de leurs semblables et avoir un impact plus important sur leurs revendications. C’est le cas de Rojin Sharafi. D’autres utilisent des sons marquants, finement dissimulés. Azadi.MP3 a par exemple mixé des extraits sonores des manifestations contre le régime des Mollahs dans son titre Empty Plaform

Les femmes ne sont pas les seules à dénoncer le sort de femmes en Iran grâce à leur métier artistique. Les œuvres du photographe iranien Majid Behkarpisheh, seront bientôt exposées à la Maison Louise de Bettignies. Cette exposition montrera au public environ trente portraits en noir et blanc, de femmes et d’enfants iraniens. Ils ont été pris dans tout le pays, pour dénoncer l’oppression et l’injustice faite aux femmes iraniennes, qui souvent victimes d’inégalités et de la police religieuse. Il a nommé son exposition « les Mona Lisa » iraniennes, puisqu’il s’est inspiré de l’oeuvre de De Vinci, pour la neutralité de ses portraits. Le photographe est donc engagé au travers de son art dans la défense des droits des femmes en Iran.

« Celles qui ne respectent pas la loi ne sont pas autorisées à travailler. »

Certaines femmes subissent les conséquences de cet engagement. C’est le cas pour douze actrices qui ont été privées de tourner leur film, car elles se sont exposées sans leur voile en public. Suite à cela, le ministre de la Culture et de l’Orientation islamique, Mohammad Mehdi Esmaili, a même annoncé : « Celles qui ne respectent pas la loi ne sont pas autorisées à travailler ». Suite à l’événement, elles ne pourront  plus travailler dans un nouveau film. Parmi elles, on retrouve Taraneh Alidoosti, qui avait posté une photographie d’elle sans voile, sur les réseaux sociaux, avec un message en kurde en soutien au mouvement Femme-Vie-Liberté, Katayoun Riahi, ou encore Fatemah Motamed-Aria.

La journaliste et détentrice du prix Nobel de la paix, a elle utilisé sa plume pour parler du droit des femmes dans son pays. Elle a suite à cela été enfermée dans la prison d’Evin. Récemment, sa famille a annoncé sur Instagram qu’elle aurait besoin de soins médicaux. Mais les autorités pénitentiaires refusent de prendre en charge la lauréate à l’hôpital en raison de son refus de porter le voile : «Elle est prête à risquer sa vie en ne portant pas le hijab forcé, même pour un traitement médical». Son transfert à l’hôpital a été annulé deux fois de suite. Une équipe médicale est donc allée la soigner dans l’aile du bâtiment qui lui est réservé.

Un chanteur de pop iranien, Mehdi Yarrah, a aussi été libéré sous caution. Il avait été emprisonné pour avoir diffusé une chanson contre l’obligation du port du voile. L’artiste de 41 ans contestait « les mœurs et coutumes de la société musulmane », à travers le morceau Rousarito (qui veut dire « ton foulard », en persan), à la suite de l’anniversaire de la mort de Mahsa Amini, ou encore Soroode Zan (« Hymne de la femme »), qui est comme son nom l’indique, devenu un hymne, chanté lors des manifestations. Pour lui, l’art est une arme de guerre contre la répression des femmes en Iran. Mais il a payé le prix de son utilisation.

Iran : Le port du voile, un symbole de répression ou de rébellion ?

Si pour certaines femmes, porter le voile est un choix délibéré, pour d’autres, le retirer est une manière de se révolter et de se faire entendre.

Un an après la mort de Mahsa Amini, le peuple iranien et surtout « les femmes continuent de désobéir ». C’est ce que soulève la sociologue franco-iranienne Azadeh Kian. Mahsa Amini étaient une étudiante iranienne, décédée le 16 septembre 2022 à Téhéran. Trois jours plus tôt, elle avait été arrêtée par la police de mœurs pour « port non conforme du voile ». Selon des témoins de la scène, « la police l’a poussée dans un fourgon et l’a frappée, puis l’a conduite au centre de détention de Vozara, à Téhéran ». Sa mort a entraîné le mouvement « Femme, Vie, Liberté », et une partie de la population a commencé à protester contre la répression imposée par le gouvernement iranien, notamment sur l’obligation du port du voile pour les femmes. D’autant plus que le 20 septembre, le Parlement iranien a voté un projet de loi « visant à soutenir la culture de la chasteté et du hijab », qui est donc pour eux un symbole de répression. Les sanctions seront donc encore plus dures. Les femmes continuent donc à se battre, bien que la répression soit sévère surtout à l’approche de l’anniversaire de la mort de Mahsa Amini, puisque « les proches des personnes assassinées, tout comme des journalistes et des défenseur-euse-s des droits humains, sont arrêté-e-s préventivement afin d’empêcher une nouvelle mobilisation». Azadeh Kian précise que les femmes et surtout les jeunes générations continuent malgré tout « de désobéir, par exemple en refusant de porter le voile islamique ». Cet été, nous avons pu assister à de nombreuses manifestations, dans lesquelles les femmes portaient des tenues estivales, des décolletés et qui ne portaient pas le hijab.

« Rejeter le voile, c’est rejeter le régime et l’islam politique au pouvoir »

Dans cette situation, le voile est un symbole de revendication et de rébellion : « Rejeter le voile, c’est rejeter le régime et l’islam politique au pouvoir ». L’objectif est ainsi de faire vaciller le régime, qui est inégalitaire entre les hommes et les femmes, puisque les lois discriminent en particulier les femmes : « Elles ne peuvent pas travailler, sortir du pays ou même dans la rue sans l’autorisation de leur mari. Leur vie vaut la moitié de celle d’un homme » explique Sourour Kasmaï, l’écrivaine franco-iranienne de Femme Rêve liberté. On pourrait avoir l’impression que le mouvement s’essouffle, en raison de la baisse du nombre de manifestations. Mais ce n’est pas le cas. C’est simplement que les contestations continuent sous des formes qui peuvent paraître anodines. Les Iraniennes prennent un grand risque rien qu’en traversant la rue sans le hijab. Près de 50% des femmes ne le portent plus : « Le régime a peur, car il sent que les femmes n’ont plus peur, quelque chose à changé ».

D’autres femmes ont choisi le pouvoir des mots et de l’écriture pour lutter contre l’oppression des femmes en Iran en général, et pas que contre le port du voile obligatoire. Vous vous en doutez, la journaliste et militante iranienne des droits humains, et plus particulièrement des femmes, Narges Mohammadi est l’une d’elles. Elle a pour cela remporté le Prix Nobel de la paix ce vendredi 6 octobre. C’est un moment symbolique, qui a eu lieu un an après la mort de Mahsa Amini, et quelques jours après l’altercation d’Armita Garawand, avec la police des moeurs, dans le métro de Téhéran, qui l’a plongé dans le coma. Cette récompense permet d’envoyer un message fort aux autorités iraniennes : « Elles ne peuvent pas continuer à piétiner les droits des femmes dans leur pays ». Aujourd’hui, à cause de son combat, elle est emprisonnée pour « diffusion de propagande ».

Ce sont ces femmes qui ont osé exprimer leurs opinions qui font vivre le mouvement « Femme, Vie, Liberté ». Elles inspirent le monde et sont elles-mêmes des sources d’inspiration dans la lutte pour le droit des femmes en Iran, que ce soit dans le milieu de la culture, du sport ou encore dans l’éducation des plus jeunes. Ainsi, elles ont trouvé un symbole, le voile, qui représente à leurs yeux la rébellion contre un régime qui lui, se sert du hijab comme d’un moyen de répression.