#5 Le marché de l’occasion, un renouvellement du capitalisme

Ces dernières semaines, la France a été le théâtre d’une multiplication d’événements visant à promouvoir la vente de vêtements d’occasion. À Lille, un mois entier est dédié à la vente de vêtements pour enfants, s’inspirant de la renommée de sa braderie géante. À Rouen, le marché de la « No Fast Fashion » connaît une nouvelle édition, proposant une approche singulière où les vêtements sont vendus au poids, loin des traditionnels petits commerces urbains. Cette vente en gros s’érige en opposition éthique à la vente/achat de vêtements de seconde main, souvent associée à la slow fashion. 25€, voilà le prix de l’écologie aujourd’hui.

La vente de seconde main s’affirme comme un marché à part entière, répondant à des dynamiques économiques et commerciales bien définies. Actuellement, ce marché occupe une position significative dans la consommation globale de la mode. Selon une étude de l’Observatoire Natixis Payments, le secteur des friperies connaît une croissance remarquable au cours des trois dernières années. En 2021, il a enregistré une augmentation de plus de 140 % par rapport aux chiffres de 2019. Il est pertinent de rappeler qu’en 2019, 39 % des Français avaient choisi d’acquérir des vêtements auprès de ces enseignes de seconde main.

En témoigne, les géants de la fast fashion intègrent désormais la slow fashion dans leur stratégie commerciale. On peut citer La Redoute avec « La Reboucle », Zara avec « Pre-Owned », et le partenariat entre Leroy Merlin et Selency. Ce phénomène ne se limite pas à ces entreprises, bien au contraire. Les acteurs spécialisés dans la seconde main déploient également des stratégies commerciales novatrices. Le slogan emblématique de Vinted, « Tu ne le portes pas ? Vends-le ! », joue habilement sur l’ambiguïté entre la déculpabilisation et le plaisir du shopping, incitant à vendre les vêtements inutilisés pour libérer de l’espace et gagner de l’argent, qui sera ensuite réinvesti dans de nouveaux achats. De même que pour Back Market, avec son mantra « New is Old », qui adopte une approche différente en ne cherchant pas à conquérir l’âme écologique qui sommeille en nous, mais plutôt l’économe. Pour Back Market, la révolution réside non pas dans une consommation réduite ou améliorée, mais dans le paiement d’un prix « juste ». L’encouragement à la consommation demeure présent dans cette perspective.

Effectivement, le marché de la seconde main représente une véritable opportunité pour les marques, tant sur le plan économique que commercial. Que ce soit en magasin physique ou en ligne, la seconde main est devenue un service à forte valeur ajoutée recherché par les clients. Ainsi, une offre diversifiée de produits d’occasion peut constituer un réel moteur de trafic. Cette tendance offre aux marques une occasion unique de verdir leur image et de renforcer leur responsabilité écologique aux yeux des consommateurs, tout en attirant de nouveaux adeptes.

L’essor de la vente de produits d’occasion répond aux attentes croissantes des consommateurs, particulièrement en matière d’éco-responsabilité, englobant la lutte contre le gaspillage et les préoccupations éthiques et environnementales, ainsi que des considérations budgétaires. La fidélisation de la clientèle, décrite par l’Alliance du Commerce, est mise en avant : « Le marché d’occasion permet également de fidéliser la clientèle en offrant des services et avantages additionnels et/ou de capter de nouveaux clients avec des prix plus abordables. C’est aussi un moyen de favoriser le trafic en magasin ou le ‘drive to store’ en organisant la collecte de produits de seconde main en magasin et en rétribuant ce ‘don’ par des bons d’achat à réutiliser ou par l’accomplissement d’une étape du processus de vente de seconde main en point de vente physique. »

D’après l’extrait du Contrat stratégique de filière Mode et Luxe pour la période 2023-2027 du Conseil National de l’Industrie française, le marché de l’occasion a évolué pour devenir une « opportunité » pour les entreprises commerciales. Selon le document, « l’innovation numérique, la prédiction, la production à la demande, mais aussi la réparabilité des produits, le marché de l’occasion sont autant de nouvelles composantes à intégrer pour participer à la décarbonation de notre industrie à l’horizon de 10 ans ». Les chiffres dévoilés sont significatifs : en 2022, le marché mondial du luxe de seconde main représente 16 milliards d’euros, et selon une étude réalisée par le Boston Consulting Group en 2020, on estime que le marché de la seconde main atteindra plus de 60 milliards de dollars d’ici à 2025.

En conclusion de ces 5 veilles sur le thème de l’occasion, il est légitime d’affirmer que le marché de la seconde main ne semble pas véritablement redonner une teinte plus verte au secteur de la mode. Bien éloigné de l’image idéaliste présentée par les entreprises du commerce et les médias, il est crucial de souligner que le consumérisme n’est pas remis en question de manière substantielle. Même si l’impact environnemental est réduit, il demeure significatif. Présentée comme une solution à « tous les problèmes », la seconde main ne constitue pas un remède miracle.

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