La chute du gouvernement syrien dirigé par Bachar al-Assad depuis près de 25 ans le 8 décembre dernier a permis de révéler des documents officiels faisant figurer une vaste opération des journalistes syriens. La prise de pouvoir des groupes rebelles a ainsi pu faire fuiter ces documents des archives du bâtiment des services secrets situé à Damas : cette surveillance aurait ainsi lieu depuis près d’un demi-siècle. Cette révélation, peu surprenante au vu de la nature du régime syrien, pose toutefois la question de la liberté du champ d’actions des journalistes dans le monde entier.
Pourquoi ce sujet ?
La liberté d’expression et d’action des journalistes est évidemment un sujet essentiel lorsqu’il s’agit de définir les enjeux de la profession en France et dans le monde. Les intérêts économiques parfois contraires à la déontologie journalistique semblent souvent représenter la seule entrave à la pratique de ce métier. Pourtant, cette vision occidentale des choses semble de plus en plus s’éloigner de la réalité. Les menaces sur la liberté de la presse et sur le journalisme plus globalement se multiplient, et l’augmentation d’outils de surveillance à l’échelle internationale semble faire renaître peu à peu 1984 de ses cendres. Le « Big Brother » syrien pourrait-il s’exporter ?
Un phénomène de surveillance qui s’étend dans les États démocratiques ?
Il semble évident que la surveillance des journalistes, et notamment ceux de la SIRAJ, s’opère dans un pays totalitaire tel que la Syrie sous Bachar al-Assad. Toutefois, ce serait se voiler la face que de penser que la totale liberté d’exercice est garantie pour les journalistes exerçant dans les pays les plus développés en matière de démocratie. Les affaires de surveillance dans le monde entier le rappellent. En 2021, une enquête menée par l’organisation Forbidden Stories révélait par exemple le scandale du logiciel Pegasus : une liste de 50 000 numéros de téléphone pouvant être surveillés, dont certains de journalistes, a été utilisée par plusieurs États pour contrôler certaines informations. Au-delà de l’atteinte à la liberté d’expression, une telle pratique met également en danger la protection des sources. Comment garantir pleinement un anonymat lorsque de telles affaires sont mises en lumière dans les médias ?
Une réaction attendue des organisations internationales ?
Comme le veut la tradition, une telle révélation d’espionnage appelle à une vive réaction des organisations internationales défendant les droits de l’Homme. L’année dernière, Reporters Sans Frontières (RSF) appelait déjà à une meilleure protection des journalistes syriens exilés dans les pays voisins (le Liban notamment). En 2024 toujours, RSF, cette fois aux côtés du Comité de Protection des Journalistes, demandait la libération d’un journaliste de l’AFP détenu dans les prisons syriennes. Cependant, outre les organisations ayant pour objet la défense les droits des journalistes, celles plus générales sont aussi attendues pour dénoncer ces agissements. L’ONU et son Conseil de Sécurité, dans sa volonté de protéger les droits humains autour du globe, faisait déjà en 2013 l’objet d’une requête pour mieux protéger les journalistes dans les terrains en guerre, et notamment en Syrie. Face aux révélations récentes de ces documents de surveillance, une réaction de l’ensemble des organisations internationales est ainsi attendue. Cela a-t-il un réel impact ? N’est-ce pas une simple dénonciation non accompagnée d’actes concrets ?
Quel rôle jouent les journalistes dans un tel contexte ?
Comment travailler en tant que journaliste lorsque l’asphyxiant contrôle du régime fait peser une épée de Damoclès sur la production d’information ? Comme l’a démontré l’exemple du projet Pegasus, la protection des sources ne peut être garantie lorsque le preneur d’actualités est sous surveillance. De plus, une forme d’auto-censure est forcée pour éviter toutes représailles des autorités, notamment quand on sait que plus de 300 journalistes ont été tués en Syrie depuis une décennie. Pour faire face à ces contraintes, on voit parfois le journalisme citoyen se développer. Dans le pays, de nombreux habitants ont pris la caméra pour immortaliser et couvrir le renversement du régime en place en décembre dernier. Ce n’est pas pour autant que la couverture assurée est complète et équilibrée sous le joug de l’idéologie baasiste : en 2024, la Syrie était placée 179e au classement de la liberté d’expression des pays. Les obstacles à la diffusion des informations sont évidemment immenses, et les maigres solutions imaginables (utilisation de messageries cryptées pour permettre une relative transmission par exemple) semblent infiniment insuffisantes.
Article réalisé par Téo MAISONNEUVE le 08/01/2025 (bonne année, meilleurs vœux)